Source : ulyces
À la sortie du parking du Nobu, un restaurant japonais cossu de Malibu posté face au Pacifique, les formes saillantes d’une voiture grise se découpent au milieu des carrosseries replètes. Après s’être doucement extrait de la circulation, en ce soir de décembre 2019, le véhicule rétro-futuriste accélère au seuil de la route et aplatit un panneau de signalisation sans broncher, comme si personne ne l’avait senti à bord. À bord, le conducteur est imperturbable. Elon Musk fait confiance à son Tesla Cybertruck comme d’ailleurs à tous les véhicules de la marque.
Le milliardaire a beau donner de brusques coups de volant, la société de Palo Alto maintient sa trajectoire. Alors que son action passait la barre des 700 dollars au mois de mai, Musk étonnait tout le monde en déclarant qu’il trouvait ça trop cher. Aujourd’hui, elle atteint les 1 100 dollars. Dix ans après son entrée en bourse, ce mercredi 1er juillet 2020, Tesla est devenu le constructeur automobile le plus valorisé du monde. Avec une capitalisation boursière de 207 milliards de dollars, il double Toyota, qui produit pourtant 20 fois plus de voitures. Cette valeur place même l’entreprise devant Coca-Cola, Disney ou Exxon Mobil.
Une telle prouesse était tout sauf évident. Dans un marché américain dominé par des géants, dont les véhicules tout aussi géants avalaient l’essence plus vite que les kilomètres, Elon Musk a pris le pari risqué de l’électrique. Dès le départ, Tesla s’est retrouvé « dans une situation financière quasiment fatale ». Mais à force d’insister, l’entrepreneur a renvoyé ses concurrents au rang de pachydermes en voie d’extinction, si bien qu’un membre du conseil d’administration de Volkswagen a dû reconnaître, en mars 2020, que Tesla avait « dix ans d’avance » dans la course à la voiture électrique.
Entre-temps, Elon Musk a évité quantité d’embûches et donné quelques coups de volants intempestifs. Dans l’histoire qui suit, il nous raconte les défis incroyablement difficiles qui l’attendaient en prenant la tête d’une petite entreprise au bord de la faillite, et comment il a tout surmonté pour en venir à faire trembler les géants mondiaux de l’automobile.
Nummi
Elon Musk ressemblait à un enfant qui entre dans une usine de jouets. En 2010, le CEO du jeune constructeur automobile Tesla Motors avait 39 ans. Il se tenait à l’étage principal de l’usine de New United Motor Manufacturing et regardait avec émerveillement une machine gigantesque qui se trouvait plus haut. L’usine automobile, surnommée Nummi, est située à Fremont, en Californie, mais c’est une véritable ville industrielle à elle toute seule. Elle recouvre 1,5 million de mètres carrés et contient une usine de fabrication de moules en plastique, deux installations de peinture, 2,4 kilomètres de chaînes de montage et une centrale électrique de 50 mégawatts. Depuis 1984, Toyota et General Motors partageaient les lieux, y produisant jusqu’à 450 000 voitures par an jusqu’à sa fermeture en avril 2010. Aujourd’hui, après un remarquable retournement de situation, Elon Musk en est le propriétaire.
Crédits : AP
Ce twist a semblé le surprendre tout autant que le reste du secteur. Pendant des années, l’entrepreneur à l’ambition démesurée n’avait même pas le droit de visiter l’usine. Les anciens propriétaires de l’endroit n’étaient pas à l’aise avec le fait qu’un potentiel concurrent puisse se promener librement dans le complexe. Non pas qu’ils aient eu grand-chose à craindre : en 2009, Tesla n’était parvenu à produire qu’environ 800 voitures de sport électriques à haute performance. En somme, c’était un constructeur de niche dans une industrie qui produit à la chaîne des millions de véhicules. Mais être un acteur de niche n’a jamais été l’intention de Musk.
Après avoir gagné environ 180 millions de dollars en tant que cofondateur de PayPal, il a aidé Tesla à décoller en 2004 avec un investissement initial de 6,3 millions de dollars. Le business plan audacieux de la start-up comprenait trois étapes. Premièrement, concevoir une voiture de sport à la pointe de la technologie pour prouver que les véhicules électriques étaient à la fois cool et faisables. Deuxièmement, sortir une berline de luxe qui viendrait concurrencer des marques réputées comme BMW et Mercedes. Troisièmement, produire des centaines de milliers de véhicules électriques à bas prix pour le grand public.
En 2010, Musk avait franchi la première étape. Tesla a sorti le Roadster en 2008, un coupé sport deux places, et en avait vendu à peine plus de 1 300 unités. En 2009, le gouvernement américain a accepté de verser un prêt de 465 millions de dollars au constructeur pour lancer la deuxième phase de son plan : faire trembler l’industrie automobile en produisant massivement la Tesla Model S, une berline quatre portes racée, propulsée par plus de 7 000 batteries lithium-ion. Il n’y avait qu’un seul souci : Musk n’avait pas d’usine. Tesla avait externalisé la majeure partie de la production du Roadster, assemblant les voitures une par une dans un garage situé derrière son showroom de Menlo Park, en Californie. (L’endroit abritait autrefois un concessionnaire Chevrolet.) Évidemment, la fabrication à grande échelle était impossible ici. Musk avait besoin d’une installation digne de ce nom, comme Nummi, mais l’usine avait récemment été valorisée à près d’un milliard de dollars – bien plus que ce qu’une petite start-up pouvait rêver de s’offrir.
Pourtant, en mars 2010, les propriétaires de l’usine ont reçu un appel inattendu. Akio Toyoda, le président de Toyota, avait donné la permission à Musk d’y faire une visite clandestine. Toyoda voulait savoir si l’entrepreneur était intéressé par l’achat de l’usine, et il avait besoin que la chose soit tenue secrète pour empêcher que les médias ne viennent saborder un deal potentiel. À l’époque, l’industrie automobile américaine fonctionnait au ralenti après la crise économique de 2008. General Motors s’était déjà retiré de l’usine après l’avoir déclarée en faillite en 2009, et Toyota prévoyait d’arrêter la production moins d’un mois plus tard. Et comme il n’y avait pas grand monde d’intéressé pour acheter une usine automobile de 80 hectares à ce moment-là, Toyoda en a ouvert les portes à Musk…
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